Les idéologies du développement personnel

jeudi 4 novembre 2021, par Paul ARIÈS

La critique du complexe technoscientifique semble faire l’unanimité parmi les objecteurs de croissance. Cette posture est grosse cependant de sous-entendus et parfois même de malentendus.

Je ne reviendrai pas ici sur la logique des systèmes techniciens considérant ce savoir comme acquis. J’insisterai en revanche sur le danger que fait courir à la décroissance une posture technophobe (malheureusement assez commune dans nos réseaux), d’autant plus qu’elle masque parfois une soumission à l’idéologie de la croissance personnelle et à ses techniques corporelles et mentales.

Les dangers d’une posture technophobe
Les partisans de la croissance nous excommunient souvent au nom de notre supposée technophobie. Comment pourrions-nous pourtant opter sérieusement pour cette (im)posture intellectuelle puisque nous savons tous qu’elle n’est que l’autre face de la technophilie ambiante ?

L’histoire des sciences et des techniques montre que les choses sont bien plus complexes. Jacques Testart a raison de nous mettre en garde contre la logique propre de la technoscience, et de rappeler que toute technique finit toujours par s’imposer au-delà de la volonté de ses initiateurs. Commençons par accepter l’eugénisme négatif (élimination de certaines pathologies) et on finira par avoir l’eugénisme positif (par ne plus tolérer les écarts à la norme autrefois considérés comme normaux)... D’autres spécialistes de l’histoire des techniques rappellent cependant que l’invention d’une technique et la maîtrise d’un savoir scientifique ne suffisent pas pour en permettre l’usage. On connaît bien l’exemple des communautés Amish qui refusent non seulement l’électricité, les moteurs à explosion mais aussi parfois le vélo, bien qu’ils en connaissent parfaitement l’utilisation. On pourrait citer aussi les communautés indiennes qui, bien que connaissant la roue, la réservaient pour le seul usage des jouets. On sait aussi comment en empruntant le cheval aux Blancs, les Indiens le priveront de sa technologie blanche (selle, étriers, harnais) pour en faire un autre cheval, plus conforme à leur vision du monde. Méfions-nous donc de ne pas naturaliser la technoscience. Pour que le complexe technoscientifique puisse imposer ses objets, ses visions, ses façons de faire, encore faut-il que ces derniers s’inscrivent dans un contexte culturel qui les rend acceptables. C’est donc ce contexte culturel qui doit retenir notre attention et non pas le point de vue de l’ingénieur.

Quels sont les fantasmes ou les fictions culturelles dans lesquelles prend corps la technoscience ? Dans quelle mesure ce complexe technoscientifique prend-il pied dans notre imaginaire ?

Cette mise en garde est grosse de conséquences politiques, et donc aussi pratiques. Faut-il par exemple nous laisser enfermer dans une opposition technophilie/technophobie qui se nourrit de l’arrière-plan métaphysique et ontologique propre au système culturel technicien ? Refuser toute technologie serait non seulement impossible, mais nous renverrait automatiquement vers une posture religieuse, certes possible, mais politiquement très dangereuse. Les milieux de la décroissance entretiennent la mémoire des luddites, ces ouvriers anglais cassant les machines qui menaçaient directement leur travail et leur identité, mais qui les sélectionnaient justement pour cette seule raison et non pas en raison d’une position de principe anti-machine. Faut-il camper dans un refus de toute technologie ou opposer aux prothèses techniques accélératrices des prothèses techniques destinées à ralentir et à relocaliser ?

L’opposition, certes simpliste, entre technologies douces et dures n’était-elle pas finalement plus utile ? Pour avoir consacré de longues années à étudier l’histoire de l’alimentation humaine, je sais combien notre humanisation doit à celle de notre table, et combien cette dernière fut toujours tributaire de l’essor des rituels, mais aussi des sciences, des techniques et des objets : savoirs et techniques en matière de chasse, d’agriculture, d’élevage, de conservation, de cuisson, d’assaisonnement, de découpe, de service, de dressage des assiettes, de physiologie du goût, etc. Est-ce un hasard si les formes modernes de la restauration, qui visent à imposer un palais reptilien satisfaisant les sensations organoleptiques de base (sucré, salé, craquant, croustillant, mou, etc.), s’en prennent systématiquement non seulement à la diversité des cultures et des produits alimentaires, mais aussi aux rituels, aux techniques et aux objets qui ont fait les différentes tables humaines ? Est-ce un hasard si McDonald’s supprime couverts et assiette, et si Coca-Cola remplace le verre par la canette ? Ne s’agit-il pas en supprimant ces objets techniques et les rituels qui les englobent de réduire la distance qui permet de passer de la nutrition (du corps biologique) à l’alimentation (le corps du gourmet) et finalement du mangeur au consommateur de produits alimentaires ? Les objets techniques peuvent être aussi ce qui introduit cette distance nécessaire à l’humanisation. C’est pourquoi Sartre détestait les fruits et choisissait systématiquement des desserts « inauthentiques ».

Apprenons donc à articuler la critique négative des techniques et des machines à faire de la croissance à celle, positive, des techniques et des machines à faire de la décroissance.

Les techniques de développement personnel
L’autre grande bévue de certains objecteurs de croissance consiste à opposer les techniques de développement personnel (immédiatement connotées positivement) aux techniques de transformation de la matière (toujours réprouvées), sans voir qu’elles relèvent des mêmes logiques. On peut même penser que ces techniques corporelles ou mentales, loin de résister aux formes de l’idéologie développementaliste témoignent de leur victoire en nous-mêmes.

Nous acceptons à travers ces techniques notre objectivation ou, si l’on préfère, notre désubjectivation. Ce n’est plus seulement la matière (le monde extérieur) qu’il conviendrait de connaître sur ce mode opératoire, mais l’humain lui-même dans l’ensemble de ses dimensions physiques et mentales. Beaucoup de ceux qui condamnent sans appel le complexe technoscientifique sont cependant prêts à offrir leur corps et leur pensée aux mêmes logiques.

Je pense au contraire que l’idéologie du développement personnel constitue aujourd’hui la nouvelle étape de l’idéologie croissanciste. L’idéologie de la croissance personnelle est donc un faux ami de l’objection de croissance. C’est le fossoyeur des valeurs qui nous sont nécessaires pour pouvoir encore résister. L’idéologie New Age n’est pas née par hasard dans le cœur du capitalisme industriel. Elle se développe depuis sous des aspects chamarrés et son offre marketing se diversifie. Elle s’étire de son versant chimique (les drogues) à son versant pseudo-religieux ou corporel.

Les techniques de développement corporel
Le capitalisme est parvenu à capter les revendications de Mai 68 pour les transformer en marchandises, mais aussi pour en faire le support matériel et idéel de son idéologie développementaliste en acte. On prendra deux exemples : celui des techniques sportives et des techniques sexuelles.

La « sportivation » de la vie comme idéologie du capitalisme
Les objecteurs de croissance fréquentent peu les salles de sport et de musculation. Ils ont majoritairement fait leurs les critiques de l’idéologie sportive développées depuis une trentaine d’années, notamment par les auteurs de la revue Quel Corps ? Il serait cependant tout aussi faux de considérer que toute activité sportive est en soi idéologiquement compatible avec le système. L’échec du « sport ouvrier » longtemps opposé au « sport bourgeois » est davantage l’indice d’une incompatibilité idéologique que d’une infériorité.

Le sport caricature la façon dont un domaine d’activité se dégrade, et la manière dont les citoyens et les usagers refoulent ce qu’ils savent du caractère nocif de cette activité. Le sport requiert des techniques, souvent des objets, parfois un savoir scientifique. Le fonctionnement idéologique du sport au service du système économique est relativement récent. Les historiens ont montré que le sport ne fut interdit au peuple qu’avec la société industrielle. Il n’était plus question qu’il puisse gaspiller ainsi inutilement son énergie comme il le faisait autrefois notamment avec le jeu de la soulte (ancêtre du rugby). Cette interdiction prendra une tournure extrême en Angleterre au XVIIIe siècle obligeant les rois Jacques Ier et Charles Ier à publier divers textes de loi pour limiter l’influence des puritains : les prolétaires conserveront de justesse le droit de faire du sport le dimanche, malgré la farouche opposition des premiers « capitaines d’industrie ». Le sport sera ensuite mis au service de la défense de l’État-nation avec, en France, la création, à la fin du XIXe siècle, des fameux « bataillons scolaires ». Les généraux avaient alors besoin de soldats résistants et obéissants. L’inculcation des techniques sportives était la première étape de cette militarisation.

L’idéologie sportive remplit aujourd’hui une nouvelle fonction. On peut certes penser avec Raoul Vaneigem que le non-emploi massif de la force de travail par l’industrie rend cette énergie disponible : mieux vaudrait taper dans un ballon que revendiquer. Cette critique de l’idéologie sportive peut être cependant prolongée grâce notamment aux travaux d’auteurs comme Jean-Marie Brohm.

L’idéologie sportive traduit aujourd’hui en termes marchands certaines revendications sur le droit à disposer librement de son corps. Le sport est devenu un marché comme un autre, avec la commercialisation de ses objets, de ses équipements, de ses techniques toujours plus poussées. Il faudrait aussi comprendre pourquoi certains sports, objets et techniques (vélo et marcheurs d’appartement, sports de glisse) se développent alors que d’autres régressent (sports collectifs). Cette industrie sportive est devenue tout à la fois fabrique et consommation du corps. Elle condense donc les deux faces de l’économisme : productivisme et consumérisme. Ces techniques et objets sont de ceux qui permettent un véritable mésusage corporel.

Le sport est aujourd’hui une des formes les plus abouties de la « junkproduction ». Ce « junksport » est déjà dangereux pour les individus (sportifs) eux-mêmes : « Le corps sportif est un corps « travaillé » très tôt par le système sportif (problème de l’entraînement sportif précoce), un corps médicalisé et drogué (préparation biologique, dopage), un corps meurtri et exposé (masochisme, prise de risque), un corps robotisé (recherche de l’efficacité et du geste parfait), et un corps dominé (développement de la psychologie sportive) [1] ».

Le « junksport » représente aussi un danger comme modèle de vie à généraliser. Il entretient tout d’abord l’idéologie du dopage qui a depuis longtemps contaminé le sport amateur. Il offre aussi la forme principale par/dans laquelle la société économique se donne en spectacle, notamment auprès des plus faibles (dominés et exploités) avec le spectacle de la compétition, le spectacle de la marchandise (la place de la publicité dans le sport) et même la mise en abyme du spectacle avec l’organisation de spectacles (lotos sportifs) autour du spectacle sportif (Mundial). Le sport naturalise non seulement l’idéologie de la concurrence et de la « gagne » (l’essentiel n’est plus de participer mais d’être le numéro un ou deux... comme dans la jungle économique), mais la banalisation de la souffrance (marathon), la transgression des règles, l’obligation de résultats.

L’idéologie sportive banalise ainsi l’obligation de positiver alors qu’elle repose sur l’élimination. C’est l’idéologie du « maillon faible », du nom d’une funeste émission de télévision, comme métaphore de l’hyper-capitalisme à laquelle répond dans le quotidien la banale question « comment ça va ? » qui n’attend pas de réponse et surtout pas de réponse négative ou même la nouvelle idéologie alimentaire qui promet de nous apporter produits en main « la forme sans les formes ». Cette idéologie sportive est aussi celle de l’homme d’action revu par la société économique, celui que symbolise le jouet mondialisé sous le nom d’Action Man (version masculine de la tristement célèbre poupée Barbie) et auquel correspond le syndrome de celui qui veut « travailler plus pour gagner plus » et son frère jumeau qui veut « consommer davantage pour vivre davantage ».

Les techniques sexuelles comme idéologie du capitalisme
Non seulement nous assistons à une globalisation (standardisation) des sexualités – pratiques et conceptions – (pourquoi d’ailleurs la sexualité serait-elle le seul domaine à faire exception ?) mais en outre la vogue en matière de technologies sexuelles et d’objets sexuels issus pour partie des milieux de la magie sexuelle et pour une autre partie de l’industrie pornographique véhicule des phantasmes totalement en phase avec l’idéologie développementaliste [2]. Ces techniques sexuelles même lorsqu’elles ne s’inscrivent pas dans le culte de la toute-puissance, (avec des méthodes issues du tantrisme de la main gauche comme la rétention spermatique ou l’introduction d’un tube dans le canal de l’urètre pour puiser l’énergie féminine ou en s’accouplant selon des rites magiques) relèvent d’une obligation de performance (y compris au moyen de substances chimiques comme le viagra). JeanClaude Guillebaud a parfaitement vu le lien entre cette tyrannie du plaisir et les évolutions lourdes de la société (obligation de jouissance, recherche de l’esthétisation, de l’acte pour l’acte).

Les ressorts idéologiques du développement personnel
L’idée qu’il serait possible d’opposer la croissance personnelle à la croissance économique dupe beaucoup de déçus et d’exclus de la société de consommation. Il suffit pour s’en convaincre de parcourir les stands des nombreux salons bios et alternatifs. On y fait son marché de techniques de développement personnel plus efficaces les unes que les autres. Peu importe que certaines parlent d’accroissement des pouvoirs psychiques et d’autres d’élargissement de la conscience, dès lors que toutes mobilisent le mythe d’un Prométhée possible. L’individu y est toujours sommé de se considérer comme un capital à valoriser en se soumettant à un ensemble croissant de techniques mentales ou corporelles toutes plus exigeantes et normatives.

Ces techniques font passer pour une puissance accrue ce qui n’est qu’une abolition des limites du moi, c’est-à-dire de l’idée même d’un sujet humain doublement limité par sa raison (sujet kantien) et ses désirs (sujet freudien), et cela en disqualifiant les états de conscience liés à cette conception.

Qu’aurions-nous besoin de défenses « moïques », d’identités fortes, de limites individuelles et collectives si l’enjeu est la fusion avec le cosmos ou le devenir-dieu de chaque être humain ? Le développement personnel est bien une façon d’en finir avec l’idée même d’un homme limité. Est-il acceptable de généraliser dans des écoles des cours d’image de soi pour apprendre à se vendre ? Que penser d’une société où le culte du paraître l’emporte ainsi sur la primauté de l’être ?

La réussite d’une vie serait acquise en se vouant au culte de l’efficacité, en acceptant l’instrumentalisation de soi et des autres, en se soumettant toujours plus à la quantification.

Ces techniques permettent toujours un basculement du registre du questionnement à celui de la réponse (tout comme le passage des religions aux sectes ou celui de la symbolique à la sémiologie). L’enjeu n’est plus d’appendre à vivre avec ses problèmes (comme dans la cure psychanalytique) mais de les régler techniquement en se reprogrammant (pour devenir « plus » et non mieux). L’individu est conduit à adorer son gourou ou les techniques et objets qui en tiennent lieu, et se retrouve dans la même « idole science » que les grands prêtres du marché ou du scientisme banal. Cette pratique est commune à beaucoup d’adeptes des techniques corporelles ou mentales toujours en attente d’une Mère (Big Mother) qui viendrait consoler leurs blessures narcissiques.

Les techniques de développement personnel font souvent l’étalage de leur antimodernisme.

Elles n’hésitent pas pour cela à puiser faussement dans des traditions lointaines ou exotiques. Elles se voudraient opposées aux logiques occidentales, mais partagent avec la technoscience les mêmes méthodes, les mêmes procédés, le même refus du politique et bien souvent du culturel. Elles réalisent un collapsus entre les dimensions magiques d’autrefois et l’hyper-scientisme actuel. Comme le disent les adeptes de la Programmation Neuro-Linguistique et de l’Analyse Transactionnelle (enseignées aujourd’hui dans les écoles à la place des anciennes humanités) « peu importe comment ça marche puisque « ça » fonctionne »... Ce principe marque la victoire des « valeurs pratiques » contre les valeurs éthiques. Il fait la part belle aux fantasmes d’ingénieurs. La spiritualité est entrée avec ces pratiques dans l’âge de la production en série et du contrôle de qualité. Ces pseudo-églises ne manquent déjà pas d’afficher la mention « satisfait ou remboursé ».

L’esprit managérial qui impose le tout économique est un sous-produit de cet esprit ingéniérial. C’est toujours le même mythe de l’enfantement d’un homme neuf... mais désormais l’individu est officiellement seul en charge de son destin. Le développement personnel se veut toujours de l’auto-développement. Plus besoin des autres (des vivants bien sûr, mais aussi des morts et des générations à venir). Plus besoin de symbolique : tout est dans tout et cette totalité est accessible. Il ne faut que les bonnes techniques pour connaître une bonne croissance. Ces techniques ne permettent pas de rendre l’usager maître de ses usages, car toute idée d’autonomie est battue en brèche puisque ces idéologies de développement personnel recyclent une tendance holistique qui se refuse à voir dans le monde une énigme indéchiffrable (si ce n’est par la symbolique qui permet d’exprimer ce qui ne peut l’être et doit pourtant l’être), mais postule toujours une unité offerte sur le mode du déjà là... pourvu qu’on en connaisse les clefs. Il n’est donc pas besoin de creuser bien profond pour découvrir dans l’idéologie du développement personnel tout comme dans la philosophie spontanée qui émane du complexe technoscientifique des relents d’ésotérisme, de fétichisme et le refus de l’esprit critique...

La scientologie, laboratoire du futur ?
L’objectif est toujours de faire fantasmer sur la toute-puissance pour mieux dominer et exploiter l’humanité. La scientologie se présente comme une religion technique qui apporterait à l’humanité la « Tech » (c’est-à-dire un ensemble de techniques mentales et corporelles) mise au point par son fondateur Lafayette Ron Hubbard, et grâce à laquelle les humains deviendraient, peu ou prou, des surhommes. La scientologie est donc bien fondamentalement une entreprise de technologisation de l’humain, dont nous vivons au quotidien des formes mineures avec la généralisation du phoning ou coaching. J’ai pu ainsi définir la scientologie comme la religiosité dont avait besoin l’hypercapitalisme. Son objectif est de chasser la part d’humain dans l’homme (c’est-à-dire sa part d’imperfection, de dépendances, bref son inconscient), pour la remplacer par une somme de procédés techniques. La secte commercialise ainsi des centaines de techniques permettant de choisir son conjoint(e), ses amis, d’élever ses enfants, de faire de l’argent, de gérer ses affaires, de convaincre une assemblée, de gagner une élection, de traiter ses adversaires, de faire face à une grève, etc.

Le problème dans l’homme serait en effet l’homme lui-même, parce qu’il ne serait pas toujours au sommet de ses potentialités, parce qu’il connaîtrait des variations de tonus et d’activité, parce qu’il douterait de lui et des autres, parce qu’il ne serait finalement pas seulement et strictement fonctionnel. On pourrait certes se contenter de se gausser de ces délires, mais ce serait oublier que la scientologie a pignon sur rue, que nos dirigeants reçoivent avec les honneurs son VRP de luxe en la personne de Tom Cruise, qu’elle possède des dizaines d’universités formant chaque année des milliers de cadres dirigeants, qu’elle fantasme sur les propres fantasmes que la modernité économique a réveillés, comme le culte de la toute-puissance ou l’idée d’un monde sans limites. Comment ne pas voir que cette représentation et cette pratique de l’humanité que nous combattons dans la scientologie sont conformes à ce qui se développe dans notre bonne société avec ses techniques de communication et de commercialisation, avec son culte de la « servuction » et du « coaching », etc. ?

Notre société fonctionne selon une logique de dopage (biologique ou psychique). Elle a perdu ses repères symboliques, c’est-à-dire sa capacité à s’autolimiter. Un individu incapable de se donner des limites va nécessairement les chercher dans le réel (conduites à risque, toxicomanie, suicides des plus faibles). Une société incapable de se donner des limites va aussi les chercher dans le réel (épuisement des ressources, réchauffement planétaire, explosion des inégalités). La seule limite à la dictature économique et aux délires technoscientistes n’est donc pas l’idéologie du développement personnel, mais bien la capacité à resymboliser la société. Le développement personnel entendu comme une somme de techniques corporelles et mentales est bien une façon de produire l’humain qui va avec cette société productiviste et consumériste. Il est l’autre face de la célébration de la marchandise à laquelle se livre sans fin le système.


[1Michel Caillat, L’Idéologie du sport en France, Éditions de la Passion, 1989, p. 162.

[2Cf : Paul Ariès, Satanisme et vampirisme, Golias, 2006